• Déchets et accumulations dans l'art contemporain

     

        L'ordure et l'accumulation sont des thèmes très présents dans l'art contemporain. César s'était intéressé aux rebuts de la société de consommation avec ses compressions de voitures ou de journaux.

     

    Un mois de lecture des Bâlois
    compression de papier, détail
    César à la Fondation Cartier


       A la Fondation Cartier en 2008, l'installation "Un mois de lecture des Bâlois"  de César était reconstituée, l'original ayant disparu. Cet amoncellement de cubes de ballots de papiers provient d'un site de récupération. Il est proche de la photo Recycling Yard #5 de Chris Jordan. Le photographe américain est avant tout un militant qui dénonce la surconsommation des sociétés occidentales mais il ne néglige pas la beauté formelle de ses compositions. Il appelle d'ailleurs sa série " Intolerable beauty ". Oui, il y a de la beauté dans l'ordure.

     

    Recycling Yard #5, Seattle 2003, 13,4 x 15,8 mètres
    Intolerable Beauty, Chris Jordan



        Dans sa série "Running numbers", Barbie Dolls (2008) est composé de milliers de poupées qui forment, vues de loin, le buste d'une femme. Au seizième siècle, le peintre Arcimboldo était le virtuose incontesté de ce jeu maniériste. Ses portraits composés de fruits, fleurs, objets etc. étaient basés sur une perception illusionniste dans un va-et-vient entre la vision proche et éloignée, entre le détail et l'ensemble.

     

        Après Marcel Duchamp, Arman, un nouveau réaliste, s'intéresse aux objets du quotidien qu'il accumule, casse, colle les uns sur les autres ou empile (pianos, voitures, marteaux). Parfois, il s'agit de vrais objets, parfois de leur réplique en bronze ou marbre. Dès 1959, Arman expose la série Poubelles composée de détritus.

       Jacques Villeglé
    collecte des affiches lacérées, mémoire d'un monde voué au culte de l'abondance. Les couches accumulées de papier, les déchirures forment un palimpseste dérisoire.

        Les débris inspirent Niki de Saint-Phalle. Elle habille ses nanas d'oripeaux faits de morceaux de jouets récupérés. Comme en état de décomposition, ces figures grossières auraient leur place dans un film de zombies. D'autres nanas de Niki de Saint-Phalle sont plus lisses et plus joyeuses. Associées aux mécaniques de Jean Tinguely, construites à partir de ferraille de récupération, elles tournent dans la fontaine Stravinski à Beaubourg.


    Niki-de-Saint-Phalle.jpgLa mariée de Niki de Saint-Phalle à Beaubourg, exposition Elles


        Quelques décennies plus tard, Annette Messager entassent dans un coin des poupées et des peluches qui semblent sortir d'un dépotoir. Au plafond, des pantins morbides défilent sur un rail. L'accumulation de pauvres matériaux crée un univers oppressant.


      
    Messager Annette 2007Poupées, pantins, ours en peluche et vêtements
    Installation d'Annette Messager à Beaubourg en 2007
     

       Damien Hirst lui accumule bien proprement des pilules en vitrine. La production par ses assistants des "spin paintings" est aussi une accumulation.

        Comme Arman,
    mais en plus baroque, les plasticiens britanniques Tim Noble et Sue Webster trouvent eux aussi leur inspiration dans les poubelles. Ils collectent leurs ordures ménagères, et quelques oiseaux morts, qu'ils façonnent afin de produire des ombres chinoises sur un mur. Grâce à un faisceau de lumière, un tas informe de boîtes de conserves éventrées, de papiers souillés et de végétaux pourrissants devient une image figurative. Le chaos d'origine s'organise en banales silhouettes. En se représentant en sculptant les immondices, Tim Noble et Sue Webster nous disent que nous sommes ce que nous consommons. Ils explorent brutalement les notions de beauté et de culture, faisant ironiquement naître la joliesse de la rudesse des ordures.

        On ne sait pas si les détritus ont gardé leur odeur et s'ils continuent à se décomposer, entraînant l'affaissement et la disparition de la double image.
     

    Ordures-ombre-Noble-Webster.jpgDirty white trash, with gulls (1998), Tim Noble et Sue Webster
    Tas d'ordures ménagères en forme de silhouettes, projetées sur un mur


        Pour Monumenta 2010, Christian Boltanski entasse des vêtements usagés, métaphore de la disparition. Voir article.


        La plupart des oeuvres faites de rebuts et d'accumulation sont fragiles et difficiles à reproduire dans un autre lieu d'exposition. Des morceaux tombent, la disposition des objets n'est jamais la même. Issues de la prolifération des biens de consommation, elles sont instables, éphémères et nous parlent de la mort. Parfois le plasticien décide de détruire son installation pour en reconstruire une autre, ailleurs. Ce n'est pas alors exactement le même objet mais c'est le même concept.

       L'artiste devient un collecteur, un récupérateur. L'objet multiplié, entassé, brisé, récupéré, recyclé, est au coeur de nombreuses oeuvres contemporaines.  Aujourd'hui, avec la prise de conscience généralisée de la nécessité d'une économie durable, les déchets et les accumulations dans l'art ont aussi une résonnance politique.

           Forme ultime de l'accumulation, la liste. Au Louvre, Umberto Eco expose "Vertige de la liste", quelques oeuvres qui font de l'inventaire une démarche artistique.




    Palagret
    art contemporain
    janvier 2010
     


     
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