• Jeff Koons, Fait d'Hiver: contrefaçon ou appropriation?

     

      Une histoire de cochon

     

        Comme Marcel Duchamp qui exposait un urinoir, un porte-bouteille ou une roue de vélo, Jeff Koons utilise des objets ou des images préexistantes. A la différence des ready-made de Duchamp, les sculptures de Jeff Koons reproduisent les objets et images choisis en une taille et un médium différent. Le bibelot de plâtre bon marché de Michael Jackson devient une grande porcelaine dorée, le lapin de Pâques gonflable devient un lapin en acier inoxydable etc ... 

     

     

     

    Koons Beaubourg Fait d'hiver 7Fait d'Hiver, sculpture de Jeff Koons, 1988

    Porcelaine, 49,5 x 160 x 80. Edition de 3

     

     

        Pour cause de "contre-façon", une sculpture de Jeff Koons vient d'être retirée de l'exposition à Beaubourg. "Fait d'Hiver" présente un cochon et deux pingouins venant au secours d'une femme allongée dans la neige. C'est clairement la reproduction d'une photo de Franck Davidovici, publié dans un magazine pour une campagne Naf-Naf dans les années 1980. Dans la photo, le buste de la femme est coupée, ce qui correspond au cadrage. Dans la sculpture en porcelaine le buste est aussi coupé ce qui est très étrange et ne correspond à aucune représentation classique. D'habitude, on voit soit le buste entier soit seulement la tête et le cou; un morceau de corps ainsi délimité, et allongé sur le sol, est bizarre et même malsain faisant penser à un corps massacré par un sérial-killer. La partie du corps tranché est blanche pour bien souligner l'absence. Koons nous fait réfléchir à l'arbitraire d'un cadrage photo et à la bizarrerie morbide teintée de sexualité de la publicité Naf-Naf. Le plasticien américain prétend ne mettre aucune ironie dans ses oeuvres.

     

     

    Koons-fait-d-Hiver-Naf-naf-2.jpg Fait d'Hiver, photo de Franck Davidovici, publicité Naf-Naf

     

     

         Chez Koons, la femme brune allongée porte des lunettes de soleil et des bracelets de fleurs aux poignets, sa blouse en résille mets en valeur ses seins. Dans la photo de Franck Davidovici, le cochon rose porte un tonnelet comme les Saint-Bernards qui secourent les blessés dans la neige et son museau effleure la chevelure de la femme. Chez Koons le cochon a en plus un collier de fleurs autour du cou et il est encadré de deux manchots pour sursignifier le froid. Les deux oeuvres s'intitulent "Fait d'Hiver". En français, il y a un jeu de mot avec fait divers, une allusion à l'accident ou au meurtre. Koons perçoit-il le double sens en gardant le titre d'origine?

       
        La photo en noir et blanc et la sculpture polychrome "Fait d'Hiver" sont toutes deux étranges et ambigues mais plus drôle chez Koons.

     

     

     

    Koons Beaubourg Fait d'hiver 2Fait d'Hiver, sculpture de Jeff Koons, 1988

    Porcelaine, 49,5 x 160 x 80. Edition de 3

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      La sculpture de Jeff Koons "Fait d'Hiver" est ainsi décrite dans un catalogue de vente américain: "En juxtaposant un fort élément sexuel à la douceur sucrée de bibelots décoratifs, Koons produit une version style Walt Disney d'un fantasme érotique. ... Cette combinaison dérangeante identifie une faim primale au coeur du consumerisme américain, et suggère que toute la culture de masse, que ses produits soient sordides ou propres, fonctionne comme une séduction commerciale. En promouvant ces bibelots domestiques au statut de chef-d'oeuvres de musée, Koons rend floue la frontière entre l'art et la décoration, la vraie sculpture et le kitsch de tous les jours". 1
     

     

       Une description qui s'applique à beaucoup de sculptures de Jeff Koons comme "Pink Panther" ou "Bear and the policeman". D'horribles bibelots vendus dans les boutiques de souvenirs décorent les maisons des classes moyennes américaines. Manufacturés par milliers, ils tiennent lieu d'oeuvres d'art pour beaucoup et Koons interroge ainsi la notion de mauvais goût et d'art digne d'être exposé dans un musée.

     

     

           Koons aime beaucoup les cochons. En 1988, une sculpture montre Saint-Jean Baptiste portant un cochon au groin doré et un oiseau sur son bras gauche. Sa main droite pointe vers le ciel comme dans le tableau de Leonard de Vinci. Un mélange de sacré et de profane.

     

       En 1988, Jeff Koons se fait photographier avec deux vrais cochons pour une publicité annonçant une exposition. Il déclare que  c'est " pour me représenter moi-même comme un cochon. Je préférais le dire moi-même avant que quelqu'un d'autre le fasse. C'est une forme d'exercice du pouvoir." 2.

     

     

    Koons Beaubourg Fait d'hiver 4Fait d'Hiver, sculpture de Jeff Koons, 1988

    Porcelaine, 49,5 x 160 x 80. Edition de 3

     
     

         Parlant de "ushering in banality", une autre sculpture avec un cochon rose, Jeff Koons disait: "Je me suis toujours vu comme le jeune garçon à l'arrière, poussant le cochon, poussant en croyant à la possibilité d'essayer de faire un travail qui dirait aux gens que leur histoire culturelle et personnelle est absolument parfaite jusqu'à maintenant."

     


    Koons-Ushering-in-banality-Beaubourg-7.jpgUshering in banality, Jeff Koons 1988
    Bois polychrome

     

     Koons Beaubourg Fait d'hiver 6Fait d'Hiver, sculpture de Jeff Koons exposée au Centre Pompidou avant son retrait

    Derrière on voit Balloon Dog (magenta), Cat on a clothline (yellow) et le tableau Play-Doh

     

     

           Jeff Koons est un plasticien de l'appropriation; il a été poursuivi plusieurs fois en justice aux Etats-Unis pour non-respect des droits de Copyright par les propriétaires d'oeuvres contrefaites y compris pour Ushering in banality, une copie d'une photo de Barbara Campbell intitulée "Boys with Pig". Encore un fois Jeff Koons le roi du neo-pop kitsch ne s'est pas inquiété du copyright. Un procès s'en est suivi. 

      
        Les sculptures de Jeff Koons ne sont pas d'ailleurs de vraies contrefaçons comme on l'entend pour des montres ou des vêtements. Qui pourrait confondre un bibelot de quelques centimètres et une sculpture de plus d'un mètre ou une photo en noir et blanc et une sculpture polychrome? 

     

     

     

    Koons-Ushering-in-banality-Beaubourg-2.jpgUshering in banality, Jeff Koons 1988
    Bois polychrome, deux angelots et un garçonnet

                                                                                                                               

     

         Alain Seban, président du Centre Pompidou, déclare dans un communiqué que "Une large part de la création moderne et contemporaine repose sur le concept de citation, voire d’appropriation. Il est essentiel que les musées puissent continuer à rendre compte de ces démarches artistiques."

     

        Beaucoup de pop-artists utilisent des images ou objets existants: Andy Warhol, Richard Hamilton, Rauschenberg, Roy Lichtenstein, Oldenburg, Arman, Jan Fabre, Erró, Barbara Kruger, Wim Delvoye, Douglas Gordon, Christian Marclay etc ....

     

     

     

    Koons Beaubourg Rabbit 6Rabbit de Jeff Koons,1986, acier inoxydable, série statuary

    104,1 x 48,3 x 30,5 cm
     

     

         Les lois américaines sur le copyright et le fair use sont différentes des lois françaises du droit d'auteur. On verra ce que décident les tribunaux pour "Fait d'Hiver" et "Naked", les "contrefaçons" de Jeff Koons sélectionnées pour sa rétrospective à Beaubourg.

     

     

     

     

     

    Liens sur ce blog:

     
    * Jeff Koons: gazing balls, sculptures antiques et boules réfléchissantes à Beaubourg

    * Jeff Koons: Ushering in banality, un cochon à Versailles

    * Michael Jackson, éternellement jeune, immortalisé par Jeff Koons
     
    * Bear and the policeman de Jeff Koons

    Rabbit de Jeff Koons
     
    La ménagerie de Jeff Koons dans les salons royaux de Versailles

    Erró, Femmes Fatales, appropriation et recontextualisation
     
    William Klein contre John Galliano, plagiat ou citation?
     

     

     

     

     

     

     

    Palagret

    art contemporain et appropriation

    décembre 2014

     

     

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    Sources:


    1- in Wikipedia. The City Review. Retrieved November 11, 2011.


    2- Le Monde du 30.08 05. Propos recueillis par Harry Bellet

     

    Copyright et fair use aux Etats-Unis

     

    Koons et la justice 

     

     

     

     

     

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