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Monumenta 2010, Boltanski: Personnes, l'absence, la présence et le hasard
Dès l'entrée, le regard bute sur un mur de boîtes de biscuits rouillées, sorte d'iconostase séparant le monde profane du monde symbolique. Le bruit hypnotique de centaines de coeurs battant désunis s'amplifie lorsqu'on découvre l'installation de Christian Boltanski sous la verrière du Grand Palais. Le son vient des haut-parleurs qui encadrent au sol 69 rectangles, carrés de cimetière, recouverts de vêtements usagés. S'y ajoute les grincements d'une grue qui prélève et rejette des vêtements sur une montagne de fripe. L'immense nef résonne comme une usine.Personnes, installation de Christian Boltanski
Monumenta 2010, Grand Palais, Paris« Ce qui m’intéresse principalement aujourd’hui c’est que le spectateur ne soit plus placé devant une oeuvre, mais qu’il pénètre à l’intérieur de l’oeuvre. Contrairement à une exposition classique dans un musée, où l’art défile sous notre regard, le Grand Palais est un lieu propice à une expérience qui immerge le spectateur, puisque tout l’espace fait partie de l’oeuvre. Le son, le climat, la manière de déambuler, y compris la gêne suscitée à certains endroits de passage, les matériaux utilisés, tous ces éléments sont constitutifs d’un projet artistique qui est une oeuvre globale. » 1
En 2008, Richard Serra exposait Promenade, une impressionnante sculpture abstraite. Personnes de Christian Boltanski est aussi une promenade mais l'installation raconte une histoire terrible, celle de la Déportation par les nazis de millions de juifs et tziganes pendant la seconde guerre mondiale.
Personnes, installation de Christian Boltanski
Monumenta 2010, Grand Palais, ParisLe grappin rouge vif de la grue saisit des pièces au hasard sur le sommet de la pyramide et les lâchent, comme un dieu inconséquent, un dieu cruel qui prend des vies et en épargne d'autres, par pur caprice. Boltanski y voit le doigt de Dieu.
Parfois le grappin à cinq dents hésite, tourne et vire sans se décider. Il monte haut ou reste à ras du tas, picore un morceau, change d'avis et repart dans un cycle erratique, mordant et recrachant son butin. Dans une cabine à l'écart, un grutier manipule le bras mécanique selon une « partition » écrite par Boltanski.
Personnes, installation de Christian Boltanski
Monumenta 2010, Grand Palais, Paris" Plutôt qu’objet de contemplation, cette installation forme un espace d’immersion. Cette oeuvre est à l’image des cercles de l’enfer de Dante, elle environne totalement la progression du spectateur et le marque d’un sentiment profond. Même les réactions des spectateurs, ses peurs ou ses colères, sont partie intégrante du déroulement de l’oeuvre. »
Personnes, installation de Christian Boltanski
Monumenta 2010, Grand Palais, ParisQuelques couleurs vives réchauffent les parterres de vêtements. Déployés bras en croix (ou manche), ils parlent d'absence et de mort. On pense au Canada des nazis, ces entrepôts où s'entassaient les manteaux, les pantalons, les robes arrachés aux juifs qui entraient nus dans les chambres à gaz. On pense à tous les charniers et massacres où les morts sont alignés avant d'être ensevelis. On pense aux vêtements des défunts dont on ne sait comment s'en débarrasser. On pense à ces vêtements achetés dans les fripes qui ont une histoire dont on ignore tout.
Personnes, installation de Christian Boltanski
Monumenta 2010, Grand Palais, ParisLe bruit obsédant des coeurs anonymes, le mouvement constant de la grue, l'accumulation des corps déshumanisés et le froid voulu par Christian Boltanski sont oppressants. On n'est pas ici pour s'amuser.
" Cette installation est conçue pour produire un puissant sentiment d’oppression. Il s’agit d’une expérience dure et je suis convaincu que les gens éprouveront un soulagement en sortant. C’est la beauté de l’architecture et l’immensité de l’espace du Grand Palais, cette étendue vague et abandonnée, qui m’ont permis de proposer cette expérience directe. Dans ce cadre, le jugement sur l’oeuvre, le fait qu’on l’aime ou pas, n’est plus pertinent ; il ne s’agit que d’éprouver et d’être imprégné. »
Personnes, installation de Christian Boltanski
Monumenta 2010, Grand Palais, ParisC'est entre chien et loup qu'il faut voir Personnes, quand les arabesques de la verrière découpent le bleu assombri du ciel et que la crudité de l'éclairage souligne la morbidité de l'ensemble. La théâtralité de l'installation emplit alors la grande nef, église baroque d'aujourd'hui où les cierges sont remplacés par des néons et la musique des orgues par le martèlement des coeurs enregistrés.
Personnes est un memento mori, une funèbre célébration de la mort inéluctable. Ici, les vêtements entassés ont la même signification qu'un crâne entouré de fruits pourrissants et d'un verre à moitié vide, symboles recurrents dans la peinture religieuse de "vanités".
Personnes, installation de Christian Boltanski
Monumenta 2010, Grand Palais, ParisL'installation mortifère de Christian Boltanski est aussi ludique. Les enfants ne s'y trompent pas qui s'amusent à observer le jeu hésitant ou rapace de la grue et les tissus colorés qui retombent gracieusement sur le tas de guenilles. La gigantesque pince rouge renvoie au jeu de fête foraine où un joueur maladroit cherche en vain à attraper le cadeau qu'il convoite à l'intérieur de la vitrine. La pince fouille les objets et n'attrape la plupart du temps qu'un objet dérisoire.
Personnes, installation de Christian Boltanski
Monumenta 2010, Grand Palais, ParisPersonnes, le titre de l'oeuvre, joue sur le double sens du mot. Il n'y a personne ici, mais aussi il y a beaucoup de monde ici; la nef est emplie de la présence des morts.
"Personnes" de Christian Boltanski est une installation éphémère qui sera entièrement recyclée à la fermeture de l'exposition, le 21 février. Il n'y aura rien à vendre. Plus tard, Boltanski recréera une installation similaire à l'Armory Show de New York. Les vêtements et les proportions ne seront pas les mêmes mais ce sera la même "partition" jouée par un orchestre différent.
Boltanski au Grand Palais, Personnes, video
Personnes, Christian Boltanski
Monumenta 2010 du 13 janvier au 21 février
Grand Palais, avenue Winston Churchill, Paris 75008
Liens sur ce blog:
* Monumenta 2010, Boltanski, coeurs battants sous la nef
Monumenta 2008, une promenade avec Richard Serra
Monumenta 2011: Anish Kapoor succédera à Boltanski au Grand Palais
Leviathan, dans le ventre du monstre boursouflé d'Anish Kapoor, Monumenta 2011
Monumenta: les Kabakov à la rencontre de l'ange dans l'étrange cité
Déchets et accumulations dans l'art contemporain
Palagret
janvier 2010
1- in dossier de presse
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Commentaires
Bonjour,
Nous sommes une association à Strasbourg et sommes en train de refaire notre site. Nous sensibilisons les personnes au recyclage textile par la création et la couture. Nous aimons beaucoup les images de ce post (Monumenta).
C'est pourquoi je viens vers vous afin de savoir si nous pouvons exploiter une image de votre post à mettre en arrière plan de notre nouveau site.
Dans l'attente d'une réponse de votre part.
Cordialement.