• Le cabinet de curiosités d'Aristide Sauveterre, pièces authentifiées et faux grotesques

     
     
    Une tentative de collection universelle ...

     

        "curiosus, cupidus, studiosus" ainsi le dictionnaire de Trévoux, publié en 1771, définit-il la curiosité: ce qui se traduit par "l'attention, le désir, la passion du savoir". C'est la devise de tous les collectionneurs de curiosités et plus particulièrement celle d'Aristide Sauveterre.
     

     

    Les ancêtres, statue de carnaval en papier mâché peint,
    dignitaires chinois sur rouleau, statue de femme noire

     

        Son cabinet de curiosités se cache dans un vieux mas du Languedoc, non loin du château de ses ancêtres. Bien peu de personnes sont autorisées à visiter cette chambre des merveilles. Selon la tradition, la collection se compose de naturaliae (animaux empaillés, madrépores, météorites, monstres et merveilles de la nature ), d'artificialiae (clepsydres, fioles lacrymales, astrolabes, automates) et d'exoticae (papyrus, tambour indien ou pipe inuit, statuettes barbares). C'est tout un bric-à-brac d'objets rares ou insolites, grotesques ou scientifiques, où une précieuse verrerie romaine peut côtoyer un gobelet Mac Donald's à l'effigie d'Homer Simpson et où un ticket de métro de 1975 a autant de valeur qu'une enluminure médiévale. Aristide nous a autorisé à photographier quelques pièces mineures de sa collection.
     
     
     
    serpent-_large_.jpg Naturalia - Serpent conservé dans le formol
               
     
        Le cabinet de curiosités est un miroir du monde, un microcosme. Il tente de représenter la merveille et la diversité de la Création. Les cabinets ont toujours contenus des pièces fantaisistes: la fabuleuse corne de licorne du Trésor de Saint-Denis, aujourd'hui au Musée national du Moyen âge, des dents de dragon enchâssés d'or, des lutins embaumés, des os de Titans ou des griffes de yéti.

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    Curiosit--s--madr--pore--1-.jpgNaturalia  -  Madrépore

     
     
         Dès la Renaissance, la fascination pour le monstrueux et les chimères, jointe au goût de la mystification, peuple les cabinets de curiosités d'improbables naturaliae. La supercherie est présente au cœur des plus somptueuses collections. Bien qu'ancêtres des musées, les cabinets de curiosités n'en ont pas la rigueur scientifique: les attributions sont souvent erronées, la provenance et la datation farfelues.
     
     
     
    chouette-_large_.jpgNaturalia - animaux empaillés

     
     
        Dans son désir de totalité, dans sa frénésie à faire tenir le monde dans une pièce, le collectionneur de curiosités accumule les objets les plus étranges et les plus dérisoires sans jamais assouvir sa passion. C'est une entreprise qui ne peut être que vouée à l'échec. Des collectionneurs se sont ruinés à trop acquérir.
     
     
     
    Curiosit--s-Mosson--011.jpgLivre: cabinet des insectes de Joseph Bonnier de la Mosson

     
     
        Au 18è siècle, Joseph Bonnier de la Mosson, un ancêtre d'Aristide Sauveterre, est de ceux-là. Son hôtel de Lude, rue Saint-Dominique à Paris, abritait un célèbre cabinet de curiosités rassemblant multitude de naturalia, exotica et artificialia. La curiosité la plus appréciée de la société parisienne était un théâtre d'automates qui jouaient la Création du monde. Ce théâtre a disparu et on en sait peu de chose.
     
     
     
     
    Curiosit--s--portrait--1-.jpg Portrait d'un noble sur un vase fait de morceaux de porcelaine

     

     

    - Aristide Sauveterre: Je suis le descendant de Philibert Sauveterre, un cousin éloigné de Joseph Bonnier de la Mosson. Le baron Bonnier de la Mosson dilapida la fortune héritée de son père tant à Paris pour son cabinet de curiosités qu'à Montpellier pour son château de la Mosson qu'il meubla avec munificence. Lorsqu'il mourut ruiné en 1744, ses biens furent dispersés. Philibert Sauveterre était son assistant, son disciple. Il avait voyagé avec lui partout en Europe, en Italie sur les traces d'Ulysse Aldovandri, en Angleterre chez les héritiers de John Tradescant, en Autriche et en Bohême à la recherche des trésors dispersés de Rodolphe II, créateur d'un cabinet de curiosités unique en Europe. Joseph et Philibert revenaient à l'hôtel de Lude suivis de charrettes débordantes de trouvailles. Pour immortaliser sa collection, la curiosité et la vanité allant souvent de pair, Bonnier de la Mosson commanda un recueil de dessins de ses trésors à Jean-Baptiste Courtonne. A la mort de son cousin et mentor, Philibert, le coeur brisé, établit avec Gersaint le catalogue raisonné de la collection qui allait être vendue aux enchères.

     



    Catalogue-Mosson--Gersant.jpg
         Catalogue raisonné d'une collection considérable ...

     

     

        Grâce au catalogue de Gersaint et aux dessins de Courtonne, nous avons une connaissance précise des merveilles rassemblées par Joseph Bonnier de la Mosson.

        Le 26 avril 1745, une vente aux enchères dispersa les biens du collectionneur. Le comte Buffon acheta les plus belles naturaliae pour le cabinet du roi Louis XVI. Philibert Sauveterre dut s’incliner devant l'envoyé royal. Il ne put acquérir que des pièces jugées mineures à l'époque.

        “Le bouclier chinois, l'écuelle de bois sculptée très curieusement et fort ancienne, le crocodile d'environ cinq pieds, le crabe fort singulier portant une longue et forte aiguille au bout du museau“ etc, lui échappèrent mais au fil du temps, Philibert constitua une collection tout aussi hétéroclite. Il ne possédait pas une grande fortune et acheta avec modération. Transmis de génération en génération, enrichi, ce cabinet de curiosités est désormais le mien car je suis le descendant direct de Philibert Sauveterre.

     


      

     Curiosit--s-Simpson--1-.jpg 

    Figurines des Simpsons et jeux anciens

     

     

        Quand Joseph Bonnier de la Mosson meurt, l'âge d'or des cabinets de curiosités  se termine. Dès le dix-septième siècle, René Descartes a établi des règles précises pour chercher la vérité dans les sciences. Il s'en prend aux amateurs de curiosités qui recherchent l'objet rare au détriment de la rigueur scientifique:


         "Il est bien meilleur de ne jamais penser à chercher la vérité d'aucune chose, que de le faire sans méthode: car il est très certain, que de telles études menées sans ordre, troublent la lumière naturelle et aveugle les esprits; et tous ceux qui se sont accoutumés à marcher ainsi dans les ténèbres, affaiblissent tant l'acuité de leurs yeux, qu'il ne peuvent plus ensuite supporter la lumière." (1)

     

        Le Merveilleux et la Raison vont cohabiter encore quelques temps. C'est le début des cabinets d'histoire naturelle, bientôt la classification du vivant, l'évolution des espèces, l'émergence des musées.

     

     

    idole-1-a.-_10_.jpgStatuette de Nova-Esperanza au miroir,
    sorcière  et horloge aux brebis

     

     

        - Aristide Sauveterre: Pour ma part, j'assume entièrement le manque de rigueur scientifique de ma collection. Des œuvres authentifiées côtoient des faux évidents. Je m'en arrange car l'intérêt est dans la recherche et l'accumulation de pièces bizarres, rares, étonnantes. Dernièrement, ma section exotica, celle que je préfère, s'est enrichie des figurines rituelles rapportées par mes amis : Pierre-Epaminondas Boncam, le célèbre archéologue, Camille Octonel et Alix de la Liquière Engueyrade, toutes deux ethnologues. Je possède aussi quelques cartes au trésor mais elles ne sont pas ici. Je les ai mises en lieu sûr, elles attisent trop les convoitises.

        Mes acquisitions ne dépareraient pas le cabinet de curiosités de Joseph Bonnier de la Mosson, reconstitué en 1994 au Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Je vais souvent m’y promener pour admirer les cinq armoires de naturaliae contenant les achats de Buffon.

     

     

    curiosit--s-Mosson-1.jpg Le cabinet de curiosités de Bonnier de la Mosson
    dessin de Jean-Baptiste Courtonne

     

    Cabinet-Mosson-6.jpgle cabinet de curiosités de Bonnier de la Mosson,
    reconstitué
    au Muséum national d’histoire naturelle de Paris

     

     

        Je corresponds avec de nombreux collectionneurs tout aussi passionnés que moi. Nous échangeons parfois des objets. Ainsi je négocie avec David Wilson à Culver City, près de Los Angeles. Son « Museum of Jurassic Technology » contient des merveilles dont je suis jaloux. J’ai essayé de lui arracher la corne de Mary Davis de Saughall daté de 1688, sans succès. Mary Davis de Saughall n’est pas le seul être humain à avoir une corne mais c’est la seule dont on ait conservé le crâne.   

     

     

    Mary Davis de Saughall, la femme à cornes

     

        Je connais un deuxième exemple de femme aux cornes de bélier: un tondo de Jean-Léon Gérôme (1853). Il s'agit d'une figure mythologique, une bacchante.
     
     

    Tondo de Jean-Léon Gérôme



        Ne pouvant acquérir l'œuvre de Gérôme, je me contenterai bien du crâne de Los Angeles. Sa corne irait très bien avec mes autres monstres dans ma Wunderkammer, ma chambre des merveilles, à coté de mon basilic, né de l’union d’une poule et d’un crapaud, de mon fœtus de licorne et de mes araignées géantes desséchées.
     
     
     

        Curiosit--s-jouet--1-.jpg

    Collection de jouets en plastique

         

     

         Ma collection ne cesse de croître. J’achète, j’achète sans relâche et peut-être finirai-je ruiné moi aussi comme Joseph Bonnier de La Mosson. La soif de posséder ne peut être étanchée, Il y aura toujours une pièce manquante, une nouvelle série à commencer. Le mois dernier, j'ai songé à une collection de cercueils quand une menuiserie a fait faillite non loin d'ici. Je suis allé à la vente aux enchères mais j'ai dû renoncer à ces grosses boîtes, comme pour les dinosaures, faute d'espace. Il faut faire des choix.
     
     

     

    baigneuse-_large_.jpg Collection de souvenirs balnéaires



        Mes trois neveux et nièces (Clémentine, Tugdual et Quentin) n'hériteront pas de mon cabinet de curiosités. ils ne voient là qu'un fatras poussiéreux qui les fait éternuer. Ils seraient capables de tout envoyer à la décharge ou aux Emmaüs. Ainsi se romprait la chaîne qui me lie à Philibert et à son cousin Joseph Bonnier de la Mosson. Au temps de l'immatérialité de la musique, mes neveux ont du mal à concevoir qu'on puisse accumuler tant de choses inutiles. Un musée virtuel en 3D leur plairait plus.
     
     
     
    soeurs-_large_-1.jpgCollection de statuettes religieuses

      
        Mes naturaliae iront au muséum de Paris. Le reste de ma collection ira à mon ami Pierre-Epaminondas Boncam. Il respectera l'œuvre de plusieurs générations même s'il trouve mon cabinet de curiosités “amusant“. S'il meurt avant moi, je prendrai soin de ses archives, même si j'ai des doutes sur la datation de ses découvertes archéologiques. Nous nous disputons souvent à ce propos. La postérité nous départagera.

     

        Aujourd'hui, l'objet de mon désir est un de ces fabuleux petits canards jaunes en plastique, tombés à la mer lors d’une tempête en 1992. Voici quatorze ans qu’ils errent sur les trois océans et depuis, des centaines de curieux, partout dans le monde, scrutent les plages dans l'attente d’un rescapé. Un seul canard me suffirait. Même décoloré, même déchiqueté. Un seul magnifique petit canard jaune pour mon cabinet de curiosités.
     
     
     
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    Billet de 2006 republié sur Eklablog dû à un transfert incomplet à partir d'over-blog
     
     
     
     
    « Les faux Arcimboldo du Cabinet de Curiosités d'Aristide SauveterrePierre-Epaminondas Boncam, un archéologue visionnaire »
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